Chasse aux virus à l’aide de la technologie nucléaire en Sierra Leone

L’animal dort la tête en bas, sort la nuit et peut transmettre la fièvre Ebola. Quel est cet animal ? Une chauve-souris. Après avoir affronté la flambée de fièvre Ebola qui a ravagé leur pays en 2014, des vétérinaires sierra-léonais apprennent à des pairs venus d’autres pays africains à capturer des chauves-souris pouvant transmettre des virus, à prélever des échantillons et à établir des diagnostics à l’aide de techniques dérivées du nucléaire.

Des vétérinaires capturant une chauve-souris dans la jungle, en Sierra Leone. La surveillance des maladies est d’autant plus importante que la République démocratique du Congo (RDC) fait face à une nouvelle épidémie de fièvre Ebola. (Photo : L. Gil/AIEA)

Njala, Sierra Leone — L’animal dort la tête en bas, sort la nuit et peut transmettre la fièvre Ebola. Quel est cet animal ? Une chauve-souris. Après avoir affronté la flambée de fièvre Ebola qui a ravagé leur pays en 2014, des vétérinaires sierra-léonais apprennent à des pairs venus d’autres pays africains à capturer des chauves-souris pouvant transmettre des virus, à prélever des échantillons et à établir des diagnostics à l’aide de techniques dérivées du nucléaire.

« Nous avons souffert de l’épidémie, malheureusement », déclare Dickson Kargbo, un vétérinaire local ; équipé d’un filet, d’une lampe frontale allumée et vêtu d’une tenue de chirurgien bleue, il se fraie un passage dans les profondeurs de la jungle à la nuit tombante, suivi de plusieurs autres vétérinaires. « Mais l’aspect positif, c’est que nous avons maintenant la technologie, l’expérience et beaucoup de choses à partager », poursuit-il.

Les vétérinaires et les spécialistes de la faune et de la flore qui ont participé à la formation étaient venus des sept pays africains suivants : Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Ghana, Liberia, Nigeria, République centrafricaine et Togo. Leur objectif ? La surveillance des maladies. Avec l’aide de l’AIEA et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ils ont appris à comprendre le comportement des chauves-souris afin de les capturer et de prélever des échantillons en appliquant les bonnes mesures de sécurité biologique.

« L’idée est qu’ils acquièrent une expérience pratique et les connaissances scientifiques appropriées pour pouvoir capturer des chauves-souris vivant en liberté et les examiner sans les tuer, afin de pouvoir les relâcher ensuite dans la nature », a expliqué Hermann Unger, administrateur technique à la Division mixte FAO/AIEA des techniques nucléaires dans l’alimentation et l’agriculture. « Tout au long du processus, il faut se protéger et protéger l’animal », a-t-il précisé.

Au cours des deux semaines de formation, des vétérinaires, des gardes forestiers et des spécialistes de la faune et de la flore ont capturé plus de 30 chauves-souris dans la jungle de Njala, dans le centre de la Sierra Leone, afin de les analyser en laboratoire.

De retour au laboratoire, les scientifiques ont identifié et mesuré les chauves-souris, ils ont examiné des échantillons de leur sang, de leurs matières fécales et de leur salive à la recherche des centaines de virus qu’elles peuvent transmettre aux animaux et aux hommes, notamment la fièvre Ebola. À cette fin, ils utilisent des techniques dérivées du nucléaire et du matériel fourni à titre gratuit dans le cadre du programme de coopération technique de l’AIEA. Pour l’heure, ils n’ont trouvé aucun virus.

« Au Togo, nous n’osions même pas toucher les chauves-souris pour prélever des échantillons parce que nous n’avions pas les compétences. Mais maintenant que nous les avons, nous devrions les exploiter. Nous ne pouvons pas baisser la garde », a déclaré Komlan Adjabli, zoologue travaillant à la Direction de l’élevage du Togo, qui a suivi la formation.

Il s’agit de la seconde formation d’une série de cours visant à ce que les vétérinaires et les spécialistes de la faune et de la flore africains unissent leurs forces et anticipent, voire préviennent, les épidémies dans la région, grâce à une surveillance active des maladies. La surveillance est d’autant plus importante que la République démocratique du Congo (RDC) fait face à une nouvelle épidémie de fièvre Ebola et à un risque de propagation.

Dans la jungle

Pour que la surveillance exercée soit rigoureuse, les scientifiques étudient les espèces dans leur habitat naturel sauvage. Ils se salissent donc les mains, au sens propre comme au sens figuré.

« Ce n’est pas simple. Pour diagnostiquer et identifier un virus, il faut un échantillon de bonne qualité, correctement prélevé et transporté », a expliqué Hermann Unger. « Afin de capturer une chauve-souris, une équipe d’au moins six personnes doit aller dans la jungle durant la journée, poser des pièges avec des poteaux et des filets et attendre jusqu’à la nuit tombée que les premières chauves-souris apparaissent », a-t-il précisé.

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L’idée est de perturber aussi peu que possible l’écosystème. Les chauves-souris étant des mammifères nocturnes, les chasseurs de virus travaillent la nuit, de sorte à respecter leur rythme. Une fois capturées, les chauves-souris sont soigneusement mises dans un sac spécial et transportées au laboratoire aux fins du prélèvement et de l’analyse d’échantillons. Pour en savoir plus sur la procédure de capture des chauves-souris, consultez ce photoreportage.

« Les chauves-souris sortent la nuit, donc c’est à ce moment-là que nous pouvons les capturer. Nous les attrapons et les relâchons dans la nature », a déclaré l’un des enseignants de la formation, Temidayo Adeyanju, chercheur nigérian et spécialiste de la faune et de la flore. Les scientifiques et les chercheurs ont appris différentes méthodes de capture des chauves-souris qui varient selon les espèces et leur habitat.

Selon Temidayo Adeyanju, « en dépit des préjugés dont elles font l’objet, les chauves-souris sont essentielles à l’écosystème. Ce sont des animaux étranges. Elles sortent la nuit, se nourrissent d’insectes ou de fruits et font peur aux gens. Mais éloignez-les, et toutes les autres espèces en pâtiront, car ce sont des éléments clés ».

Si elles jouent un rôle essentiel dans l’écosystème, les chauves-souris ne constituent pas moins une menace pour les êtres humains : on y détecte environ dix nouveaux virus chaque année. Parmi ceux-ci, celui de la fièvre Ebola peut se transmettre par contact avec le sang, les sécrétions, les fluides ou les organes de chauves-souris infectées.

« Les gens ont peur de la fièvre Ebola », dit Hawa Walker, spécialiste de la préservation, originaire du Liberia, pays voisin de la Sierra Leone qui a également souffert de l’épidémie de 2014. « Ils sont obsédés par la propreté de leurs mains, de leurs maisons. Mais dans de nombreux foyers, on mange encore des chauves-souris. C’est un moyen de subsistance pour ceux qui n’ont pas le choix », ajoute-t-elle.

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Les scientifiques apprennent à étudier les espèces, depuis leur habitat naturel sauvage jusqu’aux laboratoires où ils utilisent des techniques dérivées du nucléaire pour diagnostiquer les éventuels virus. (Photo : L. Gil/AIEA)

Lorsque Hawa Walker rentrera au Liberia, elle organisera une réunion de consultation avec des représentants des ministères intéressés afin de mieux les sensibiliser à l’importance de la surveillance des virus chez les chauves-souris.

Parallèlement, des scientifiques locaux mènent également des recherches sur une nouvelle souche de la fièvre Ebola, connue sous le nom de souche Bombali. Découverte en juillet dernier en Sierra Leone, on sait très peu de choses sur sa pathogénicité, si ce n’est qu’elle peut infecter les cellules humaines.

« Il faut adopter une approche holistique de la santé », a déclaré Michel Warnau, responsable de projet à l’AIEA qui supervise la formation en Sierra Leone. « Le manque de préparation était l’un des problèmes qui s’est posé pendant l’épidémie de 2014-2015 en Afrique de l’Ouest. Avec ces cours, nous voulons mettre sur pied les capacités d’étudier et de diagnostiquer les zoonoses chez les animaux d’élevage et les animaux sauvages avant une flambée épidémique, de façon à mieux anticiper les risques pour les populations humaines », a-t-il expliqué.

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Chaque année, une dizaine de virus comme celui de la fièvre Ebola sont découverts chez les chauves-souris. (Photo : L. Gil/AIEA)

Les techniques dérivées du nucléaire au service de la détection des maladies animales

Le dosage immuno-enzymatique (ELISA) et la réaction de polymérisation en chaîne (PCR) sont deux techniques dérivées du nucléaire couramment employées pour le diagnostic de maladies.

Facile à mettre en place et à utiliser, la technique ELISA peut être employée par tous les laboratoires vétérinaires. Les scientifiques déposent sur une plaque de microtitration prévue à cet effet un échantillon de sérum prélevé sur un animal, préalablement dilué. Si l’animal est atteint de la maladie recherchée, une enzyme présente dans cette dilution en modifie la couleur, confirmant ainsi la maladie. La technique ELISA est souvent utilisée pour effectuer les premiers tests, mais ne permet pas d’identifier les souches virales en raison de sa sensibilité limitée et de sa spécificité.

La PCR, qui fait appel à du matériel et à des procédures plus complexes que la technique ELISA, permet d’identifier des souches virales et des bactéries grâce à sa plus grande sensibilité et à sa très grande précision. Elle permet, grâce à une enzyme, de répliquer, ou d’amplifier, un fragment spécifique de l’ADN d’un agent pathogène un milliard de fois en une demi-heure seulement. Les scientifiques détectent et surveillent l’amplification de l’ADN grâce à des isotopes radioactifs ou en dénombrant les molécules fluorescentes liées spécifiquement aux séquences du gène ainsi produites.

Les deux méthodes, qui fonctionnaient initialement avec des isotopes radioactifs, sont désormais basées sur des enzymes, ce qui a permis à l’AIEA et à ses partenaires d’affiner et de simplifier les tests.

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Back in the lab, the animals were identified, measured and probed for blood, faecal and oral samples for analysis of any of the hundreds of viruses they can transmit to animals and humans, Ebola included. To do this, they use nuclear-derived techniques and equipment donated by the IAEA technical cooperation programme. So far, they have not found any viruses.

“In Togo, we didn't even dare to touch bats for sampling because we didn't have the skills. But now we do, and we ought to. We cannot let our guard down,” said Komlan Adjabli, an animal scientist from the Livestock Directorate of Togo, who attended the course.

This is the second in a series of training courses intended for African veterinary and wildlife scientists to join forces and, through active disease surveillance, anticipate or even prevent outbreaks in the region. Surveillance is ever more relevant as the Democratic Republic of the Congo, or DRC, faces a new Ebola crisis and a risk of further spread.

In the jungle

To achieve a high level of surveillance, scientists study the species in their natural, wild habitat. This entails getting their hands dirty, figuratively and literally.

“It's not easy. To diagnose and identify a virus, you need a high-quality sample, taken properly and shipped the right way,”  Unger said. To capture a bat, a team of at least six people must enter the jungle during daylight, set up poles and nets to make traps, and wait until dark for the first bats to appear, he added.

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The idea is to cause as little disruption as possible to the ecosystem. As bats are nocturnal mammals, the virus hunters work at night, respecting the animals’ rhythm. Once captured, the bats are introduced carefully into a special bag, transported back to the lab for sampling and analysis. To learn more about the entire bat-capturing process, check out this photo essay.

“Bats come out at night, so that’s when we can get them. We catch them and return them to the wild,” said Temidayo Adeyanju, wildlife researcher from Nigeria and one of the course lecturers. Scientists and researchers learned about different bat-capturing methods according to habitat types and bat species.

Despite the stigma surrounding bats, Adeyanju said, they are key to the ecosystem. “They’re strange creatures. They come out at night, they eat insects or fruits, and people are scared of them. But if you take out the bats, you affect all the other species. They are a keystone.”

While bats play a vital part in ecosystems, they also continue to carry threats to people; every year, around ten new viruses are discovered in bats. Among these are viruses like Ebola, which can be transmitted through close contact with infected bats’ blood, secretions, organs or other fluids.

“People are scared of Ebola,” added Hawa Walker, conservation specialist from Liberia, the country neighbouring Sierra Leone that also suffered from the epidemic in 2014. “They are obsessed with washing their hands, washing their houses. But in many households, bats are still food. They’re a source of life for those who have no other choice.”

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Scientists are learning to study the species from their wild, natural habitat all the way to the lab, where they use nuclear-derived techniques to diagnose any potential virus. (Photo: L. Gil/IAEA)

When Walker goes back to Liberia, she will hold a consultation meeting with representatives from the relevant ministries to raise awareness about the importance of surveying for viruses in bats.

In parallel, local scientists are also conducting research on a newly discovered strain of Ebolavirus, the Bombali strain. First reported in July this year in Sierra Leone, little is known about its pathogenic nature, other than that it has the capacity to infect human cells.

“We need a holistic approach to health,” said Michel Warnau, an IAEA project manager who oversees these courses. “One of the issues during the 2014 to 2015 Ebola outbreak in West Africa was the lack of preparedness. Through these courses, we want to build capacities to study and diagnose zoonotic diseases in livestock and wildlife before an outbreak in order to better anticipate risks to human populations.”

 

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Every year, around ten new viruses are discovered in bats, including Ebola. (Photo: L. Gil/IAEA)

Nuclear-derived techniques for detecting animal diseases

The enzyme-linked immunosorbent assay (ELISA) and the polymerase chain reaction (PCR) are two nuclear-derived techniques commonly used for disease diagnosis.

ELISA is easy to set up and use, which makes it suitable for any veterinary laboratory. Scientists place a diluted serum sample from an animal on a prepared dish. If the sample contains the suspected disease, an enzyme in the fluid changes the liquid’s colours, confirming the presence of the disease. ELISA is often used for initial tests, but it has a limited sensitivity and specificity and cannot be used to identify virus strains.

PCR is a technique that involves more sophisticated equipment and procedures than ELISA, and is highly sensitive and accurate, making it well-suited for identifying virus strains and bacteria. It uses an enzyme to replicate, or amplify, a specific genetic region of a pathogen’s DNA one-billion-fold in just half an hour. Scientists then detect and monitor this DNA amplification through either radioisotopes or by counting fluorescent molecules attached specifically to the created gene sequences.

Both methods originally worked with radioisotopes and now apply enzymes instead, which has helped the IAEA and its partners refine and streamline the testing process.

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