L’Afrique, prête pour le nucléaire ?

De nombreux pays y songent malgré les obstacles

L’énergie nucléaire était auparavant une option sophistiquée réservée au monde industrialisé. Mais, elle pourrait être une source d’énergie pour la plupart des pays africains. Actuellement, seule l’Afrique du Sud possède une centrale.

Niveaux actuel et prévisible de la production électrique dans les pays africains songeant à introduire l’énergie nucléaire.

L’énergie nucléaire était auparavant une option sophistiquée réservée au monde industrialisé. Mais, elle pourrait être une source d’énergie pour la plupart des pays africains. Actuellement, seule l’Afrique du Sud possède une centrale.

Les gouvernements élaborent des politiques de développement pour devenir des pays à revenu intermédiaire à moyen terme. La croissance socioéconomique s’accompagne d’une hausse de la demande d’énergie et d’un besoin d’approvisionnement énergétique fiable et durable.

Pour les pays industrialisés qui ont besoin d’une source d’énergie propre, fiable et rentable, le nucléaire est une option intéressante.

« L’Afrique a besoin de ressources énergétiques ; l’énergie nucléaire pourrait être la solution pour beaucoup de pays », a déclaré Mikhail Chudakov, directeur général adjoint et chef du département de l’énergie nucléaire de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), une organisation internationale qui promeut l’utilisation pacifique de la technologie nucléaire.

Un tiers des presque 30 pays du monde qui envisagent de passer au nucléaire sont ceux l’Afrique. L’Égypte, le Ghana, le Kenya, le Maroc, le Niger, le Nigéria et le Soudan se sont déjà engagés avec l’AIEA pour évaluer leur degré de compatibilité avec un programme nucléaire. L’Algérie, la Tunisie, l’Ouganda et la Zambie réfléchissent également à cette option.

« L’énergie est la colonne vertébrale de tout développement », a déclaré Nii Allotey, directeur du Nuclear Power Institute à la Commission ghanéenne de l’énergie atomique. « Et d’où tirons-nous de l’énergie ? Nous avons des centrales hydroélectriques, thermiques, des combustibles fossiles et du gaz local, mais ces ressources sont limitées ; les combustibles fossiles pourraient disparaître d’ici 2030. Et les prix sont volatiles. »

Pour le Ghana, une électricité fiable et rentable constitue le point d’entrée vers une croissance à forte valeur ajoutée dans le secteur manufacturier et axée sur les exportations. Par exemple, les réserves de bauxite - le minerai utilisé pour produire l’aluminium - constituent une source importante de revenus, mais sont encore exportées sous les formes brutes.

« Nous avons une fonderie, mais celle-ci ne fonctionne pas à pleine capacité car l’électricité est trop chère », explique M. Allotey. « Si nous disposions d’une électricité rentable, nous exporterions de la bauxite fondue à un prix beaucoup plus élevé. Ce serait une grande avancée pour le Ghana. »

Pouvoir au peuple

Les gouvernements s’efforcent de rendre l’électricité accessible au plus grand nombre. Environ 57 % de la population de l’Afrique subsaharienne n’a pas accès à l’électricité. L’approvisionnement est caractérisé par de fréquentes pannes, selon l’Agence internationale de l’énergie.

Le Kenya considère que le nucléaire répond à la demande des ménages générée par leur raccordement au réseau national devrait contribuer à une augmentation de 30 % de la demande d’ici à 2030.

Un programme nucléaire réussi, nécessite un large soutien politique et populaire et un engagement national sur au moins 100 ans.

« Pendant longtemps, les niveaux d’électrification de notre pays étaient bas, mais le gouvernement a déployé beaucoup d’efforts », a déclaré Winfred Ndubai, directeur par intérim du Département technique du Kenya Nuclear Electricity Board. « Même les zones considérées comme éloignées sont maintenant reliées. En 10 ans environ, nous sommes passés d’un taux d’électrification de 12 à 60 %. »

Le Kenya dépend principalement de combustibles non fossiles ; environ 60 % de la capacité provient de l’énergie hydraulique et géothermique.

L’Afrique est-elle prête ?

« Passer au nucléaire ne se fait pas du jour au lendemain. Entre le lancement d’un programme nucléaire et la mise en service de la première centrale, des années peuvent s’écouler », a déclaré Milko Kovachev, chef de la Section du développement des infrastructures nucléaires de l’AIEA.

« La création des infrastructures nécessaires et la construction de la première centrale prendront au moins 10 à 15 ans ».

Un programme nucléaire réussi nécessite un large soutien politique et populaire et un engagement national sur au moins 100 ans. Ajoute M. Kovachev. Cela comprend l’engagement dans le cycle de vie complet d’une centrale électrique, de la construction à la production d’électricité et, enfin, le démantèlement.

Outre le temps, il y a l’argent. En effet, les gouvernements et les opérateurs privés doivent faire un investissement considérable qui inclut les coûts de traitement des déchets et de démantèlement. M. Kovachev souligne que « l’investissement du gouvernement pour développer l’infrastructure nécessaire est modeste par rapport au coût de la première centrale nucléaire. Mais [il] est toujours de l’ordre de centaines de millions de dollars. »

Financement

Sans financement approprié, le nucléaire n’est pas possible. « La plupart des pays d’Afrique auront du mal à investir une telle somme d’argent », souligne M. Kovachev. « Mais il existe des mécanismes de financement comme ceux des agences d’exportation des pays fournisseurs. Le recours à un approvisionnement énergétique fiable et sans émission de carbone financé en partie par les fournisseurs peut être pertinent.

« La charge que représente la mise à niveau du réseau électrique du pays ne doit pas être négligée. Pour qu’un pays puisse introduire l’énergie nucléaire en toute sécurité, l’AIEA recommande que la capacité de son réseau soit d’environ dix fois la capacité de la centrale prévue. Par exemple, un pays devrait avoir une capacité de 10 000 mégawatts pour générer 1 000 mégawatts d’énergie nucléaire.

Peu de pays d’Afrique ont cette capacité. « Au Kenya, notre capacité est de 2 400 mégawatts, ce qui est trop faible pour les centrales nucléaires conventionnelles »,
explique Mme Ndubai. « Les capacités du réseau doivent être augmentées ou des centrales nucléaires plus petites devraient être envisagées. »

Les petits réacteurs modulaires (PRM) figurent parmi les technologies les plus prometteuses du secteur. Ils produisent de l’énergie électrique jusqu’à 300 mégawatts par unité, soit environ la moitié d’un réacteur traditionnel et leurs principaux composants peuvent être fabriqués en usine et transportés pour faciliter la construction.

Alors que les PRM devraient commencer à fonctionner en Argentine, en Chine et en Russie entre 2018 et 2020, les pays africains se méfient encore d’un tel projet.

« Nous sommes sûrs d’une chose : nous ne voulons pas investir dans une technologie nouvelle », affirme Mme Ndubai. « Même si les PRM représentent une opportunité, nous voudrions qu’ils soient d’abord construits et testés ailleurs. »

Rejoindre un réseau régional est une autre option. « Par le passé, il était possible de partager un réseau entre pays », explique M. Kovachev. « Cela nécessite bien entendu un dialogue régional. » Le “Pool énergétique de l’Afrique de l’Ouest” est un exemple. Il a été créé un marché régional unifié de l’électricité pour la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.

Le rejet populaire de projets coûteux et difficiles à financer est l’un des facteurs qui militent contre la course au nucléaire.

Les pays craignent également les accidents. Bien qu’aucun décès n’ait été enregistré dans la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon en mars 2011 après le tremblement de terre de Tōhoku, les rejets de matériaux radioactifs ont forcé l’évacuation de dizaines de milliers de résidents.

L’AIEA

L’AIEA n’influence pas la décision d’un pays d’opter pour le nucléaire mais fournit une expertise technique et les informations pertinentes concernant l’utilisation sûre, sécurisée et durable.

La sécurité et la sûreté sont des piliers de la méthode progressive mise en place par l’AIEA afin d’aider les pays à évaluer leur volonté de se lancer dans un programme nucléaire. Elle prend notamment en compte le cadre juridique, la sûreté nucléaire, la sécurité, la radioprotection, la protection de l’environnement et la gestion des déchets radioactifs.

« Beaucoup s’interrogent : Pourquoi le nucléaire ? » M. Allotey répond. « Ce n’est pas le nucléaire qui est en question, c’est l’énergie. En tant que pays, avez-vous besoin d’énergie ? La réponse est oui. Donc, vous devez trouver une électricité rentable, propre et fiable. »

« Avec une population en pleine expansion et des projets de croissance économique, nous devons travailler avec ces contraintes », ajoute-t-il. « Nous sommes un continent qui a désespérément besoin d’énergie. »

Reproduit de Afrique Renouveau, la publication trimestrielle des Nations Unies sur l’Afrique

Power to the people

African governments are working to make electricity more widely accessible. Roughly 57% of the population of sub-Saharan Africa does not have access to electricity. For many, the electricity supply is characterised by frequent power outages, according to the International Energy Agency, an organisation of 30 mostly industrialised countries that have met a set of energy security criteria.

Kenya is considering nuclear to meet the demand generated by hooking up households nationwide, which is expected to contribute significantly to the 30% increase in electricity demand predicted for the country by 2030.

“For a long time in our country electrification levels were low, but the government has put in a lot of efforts towards electrifying the entire country,” says Winfred Ndubai, acting director of the Kenya Nuclear Electricity Board’s Technical Department. “Even those areas that were considered to be remote are now vibrant. Within a period of about 10 years we have moved from [a] 12% electrification rate to 60%.”

Kenya depends mostly on non-fossil fuel for energy; about 60% of installed capacity is from hydropower and geothermal power.

Is Africa ready for nuclear?

“Going nuclear is not something that happens from one day to the next. From the moment a country initiates a nuclear power programme until the first unit becomes operative, years could pass,” says Milko Kovachev, head of the IAEA’s Nuclear Infrastructure Development Section, which works with countries new to nuclear power.

“Creating the necessary nuclear infrastructure and building the first nuclear power plant will take at least 10 to 15 years.”

A successful nuclear power programme requires broad political and popular support and a national commitment of at least 100 years, Mr. Kovachev added. This includes committing to the entire life cycle of a power plant, from construction through electricity generation and, finally, decommissioning.

In addition to time, there is the issue of costs. Governments and private operators need to make a considerable investment that includes projected waste management and decommissioning costs. Mr. Kovachev points out that “the government’s investment to develop the necessary infrastructure is modest relative to the cost of the first nuclear power plant. But [it] is still in the order of hundreds of millions of dollars.”

Financing nuclear energy

Without proper financing, nuclear is not an option. “Most countries in Africa will find it difficult to invest this amount of money in a nuclear power project,” Mr. Kovachev stresses. “But there are financing mechanisms like, for instance, from export agencies of vendor countries. Tapping into a reliable, carbon-free supply of energy when vendors are offering to fund it can make sense for several countries in Africa.”

Another aspect to consider is the burden on the electrical grid system of the country. Nuclear power plants are connected to a grid through which they deliver electricity. For a country to safely introduce nuclear energy, the IAEA recommends that its grid capacity be around ten times the capacity of its planned nuclear power plant. For example, a country should have a capacity of 10,000 megawatts already in place to generate 1,000 megawatts from nuclear power.

Few countries in Africa currently have a grid of this capacity. “In Kenya, our installed capacity is 2,400 megawatts—too small for conventional, large nuclear power plants,” Ms. Ndubai says. “The grid would need to increase to accommodate a large unit, or, alternatively, other, smaller nuclear power plant options would need to be explored.”

One option is to invest in small modular reactors (SMRs), which are among the most promising emerging technologies in nuclear power. SMRs produce electric power up to 300 megawatts per unit, or around half of a traditional reactor and their major components can be manufactured in a factory setting and transported to sites for ease of construction.

While SMRs are expected to begin commercial operation in Argentina, China and Russia between 2018 and 2020, African countries are still wary of such a project.

“One of the things we are very clear about in terms of introducing nuclear power is that we do not want to invest in a first-of-a-kind technology,” Ms. Ndubai says. “As much as SMRs represent an opportunity for us, we would want them to be built and tested elsewhere before introducing them in our country.”

Joining a regional grid is another option. “Historically, it has been possible to share a common grid between countries,” Mr. Kovachev explains. “But, of course, this requires regional dialogue.” One example of such a scheme is the West African Power Pool, created to integrate national power systems in the Economic Community of West African States into a unified regional electricity market.

Another factor militating against a headlong rush into nuclear power is popular rejection of projects that are costly and hard to finance.

Also, countries are wary that in the event of a nuclear power plant accident, released radioactive materials will harm the environment and lives. Although no fatalities were recorded in the Fukushima nuclear disaster in Japan in March 2011 following the Tōhoku earthquake, the release of radioactive materials forced the evacuation of tens of thousands of residents.

IAEA assistance

While the IAEA does not influence a country’s decision about whether to add nuclear power to its energy mix, the organisation provides technical expertise and other pertinent information about safe, secure and sustainable use to countries that opt for nuclear energy.

Safety and security are key considerations in the IAEA Milestones Approach, a phased method created to assist countries that are assessing their readiness to embark on a nuclear power programme. The approach helps them consider aspects such as the legal framework, nuclear safety, security, radiation protection, environmental protection and radioactive waste management.

“Many, many people ask the question: Why nuclear?” Mr. Allotey says. “To me, it’s not about nuclear being an option. It is about energy being an option. Do you, as a country, need energy? And the simple answer is yes. So if you need energy, you need to find cost-effective electricity that is clean and reliable.”

“With a rapidly expanding population and plans to grow our economies, we need to work within these constraints,” he adds. “We are a continent that is in dire need of energy.”  

Republished from Africa Renewal, the United Nations' quarterly magazine on Africa.