COVID-19 et électricité à faibles émissions de carbone : les enseignements à tirer pour l’avenir

La pandémie de COVID-19 a transformé l’exploitation des systèmes énergétiques dans le monde entier et laissé entrevoir ce à quoi pourrait ressembler, à l’avenir, un bouquet énergétique constitué essentiellement de sources à faibles émissions de carbone.

Poste de distribution d’électricité avec ses lignes de transport et ses transformateurs. (Photo : Yelantsevv/Freepik.com)

La pandémie de COVID-19 a transformé l’exploitation des systèmes énergétiques dans le monde entier et laissé entrevoir ce à quoi pourrait ressembler, à l’avenir, un bouquet énergétique constitué essentiellement de sources à faibles émissions de carbone. En particulier, la performance de l’électronucléaire démontre la capacité de cette énergie à contribuer à la transition vers un système énergétique résilient et propre bien au-delà de la phase de reprise faisant suite à la pandémie de COVID-19.

Les restrictions qui ont touché l’activité économique et sociale durant l’épidémie de COVID-19 se sont traduites par une baisse durable et sans précédent de la demande d’électricité dans de nombreux pays, de l’ordre d’au moins 10 % par rapport aux niveaux de 2019 sur une période de quelques mois, donnant lieu à des conditions difficiles à la fois pour les producteurs d’électricité et les exploitants de systèmes énergétiques (fig. 1). Le rapport sur la reprise durable (Sustainable Recovery Report) récemment publié par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une diminution de 5 % de la consommation mondiale d’électricité pour l’ensemble de l’année 2020, avec une baisse record de 5,7 % attendue pour les États-Unis seuls. La reprise économique durable est l’un des sujets qui ont été abordés lors du Sommet de l’AIE sur les transitions vers une énergie propre, le 9 juillet, auquel a participé Rafael Mariano Grossi, Directeur général de l’AIEA.  

La production d’électricité à partir des combustibles fossiles a été durement touchée du fait non seulement de coûts d’exploitation relativement élevés en comparaison avec ceux de l’électronucléaire et des énergies renouvelables, mais aussi des simples mécanismes de formation des prix sur les marchés de l’électricité. À l’inverse, l’électricité à faibles émissions de carbone a bénéficié de cette situation extraordinaire, la contribution des énergies renouvelables à la production d’électricité ayant augmenté dans un certain nombre de pays en raison de l’obligation imposée à certains opérateurs du système de transmission de donner la priorité aux sources d’énergies renouvelables dans la programmation de la production et la distribution d’électricité, ainsi que de conditions météorologiques favorables.

La production électronucléaire s’est elle aussi avérée résiliente, fiable et adaptable. En effet, le secteur nucléaire a rapidement mis en œuvre des mesures spécialement prévues pour faire face à la pandémie, ce qui a permis d’éviter une mise à l’arrêt de centrales due aux effets de la COVID-19 sur le personnel ou les chaînes d’approvisionnement. Les producteurs d’électricité d’origine nucléaire se sont eux aussi vite adaptés à l’évolution des conditions du marché. EDF Energy, par exemple, a pu répondre aux besoins de l’exploitant du réseau britannique en réduisant occasionnellement la production de son réacteur Sizewell B et assurer la fourniture de services d’électricité économiques et sécurisés aux consommateurs.

Malgré sa performance durant la pandémie, le secteur nucléaire a fait face à des baisses marquées de la demande et, en conséquence, de nombreux producteurs ont dû réduire sensiblement leur production d’électricité, notamment en France, au Royaume-Uni, en Suède, en Ukraine et, dans une moindre mesure, en Allemagne (fig. 2). En France, le recul de la demande, qui s’est poursuivi jusqu’à la fin du mois de mars, a déjà engendré au premier trimestre une diminution de 1 % des revenus d’EDF, liée à une production électronucléaire en baisse de plus de 9 % par rapport à l’année précédente. De même, en Russie, la Corporation d’État de l’énergie atomique « Rosatom » a connu une forte baisse de la demande en avril et en mai, ce qui a contribué à une diminution de 11 % de ses revenus pour les cinq premiers mois de l’année.

Figure 1. Évolution hebdomadaire de la demande d’électricité en 2020 par rapport à 2019 dans certaines régions (du 15 mars au 6 juin). Par exemple, en Suède, en raison de l’absence de mesures de confinement, la demande d’électricité a augmenté entre le 15 mars et le 5 avril par rapport à la même période en 2019. À l’inverse, en France, l’application de mesures de confinement a entraîné une diminution moyenne de la demande de 14 % sur l’ensemble de la période (du 15 mars au 6 juin). (Illustration : Harim Jung)

Note : Des changements dans la production d’électricité ont été signalés pour la Corée du Sud, les États-Unis d’Amérique et l’Inde.

Dans l’ensemble, la compétitivité et la résilience des technologies sobres en carbone ont permis aux énergies nucléaire, solaire et éolienne de gagner des parts de marché dans de nombreux pays depuis l’application de mesures de confinement (fig. 3). En Corée du Sud, la part de la production électronucléaire a augmenté de près de neuf points de pourcentage durant la pandémie. Dans le même temps, au Royaume-Uni, le nucléaire a joué un rôle prépondérant dans la quasi-suppression du charbon comme source de production d’électricité sur une période de deux mois. Dans son rapport sur les perspectives énergétiques à court terme (Short-Term Energy Outlook), l’Agence d’information sur l’énergie des États-Unis prévoit que la part de l’énergie électronucléaire augmente de plus d’un point de pourcentage en 2020 par rapport à 2019. La Chine a, quant à elle, enregistré une baisse de sa production d’électricité de plus de 8 % en janvier et février 2020 par rapport à la même période en 2019, baisse induite par une diminution de près de 9 % de la production électrique à partir du charbon et de près de 12 % de la production hydroélectrique. L’électronucléaire a été plus résistant, accusant un recul de seulement 2 %. Les effets de l’augmentation de la part de l’énergie propre sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’autres polluants atmosphériques ont été clairement visibles à l’échelle mondiale au cours des derniers mois.

Figure 2. Évolution hebdomadaire de la production d’électricité à faibles émissions de carbone (du 15 mars au 6 juin) par rapport à la semaine du 8 au 14 mars (avant l’application de la plupart des mesures de confinement) dans certaines régions. (Illustration : Harim Jung)

Note : Les autres sources d’électricité renouvelables comprennent notamment des sources d’électricité acheminable, comme l’énergie hydroélectrique et la biomasse.

Figure 3. Évolution des parts de marché des énergies nucléaire, solaire et éolienne depuis l’application des mesures de confinement. (Illustration : Harim Jung)

Note : Évolution de la part des différentes sources d’énergie dans la production d’électricité par rapport à la période allant du 1er janvier 2020 au début du confinement.

Quels défis pour demain ?

Malgré la bonne performance d’un système énergétique plus propre durant la crise, notamment la capacité des centrales nucléaires existantes à fournir des services d’électricité compétitifs, fiables, sobres en carbone et qui permettent de répondre aux besoins, des problèmes persistent à court comme à long terme.

À court terme, l’effondrement de la demande d’électricité a accéléré les chutes récentes des prix de l’électricité, en particulier en Europe (fig. 4), alors que ceux-ci étaient déjà à un niveau économiquement non viable. Selon le rapport de mi-année de Standard and Poor’s, les baisses importantes des prix en Europe sont non seulement dues aux mesures de confinement prises pour faire face à l’épidémie de COVID-19, mais aussi à un effondrement de la demande en raison d’un hiver anormalement chaud, à une augmentation de l’offre d’électricité provenant de sources renouvelables et à un contexte marqué par a diminution des prix du gaz et des quotas de CO2. La faiblesse des prix de l’énergie ne fait qu’aggraver les conditions déjà difficiles auxquelles doivent faire face les producteurs d’électricité, y compris les centrales nucléaires. Une telle situation pourrait freiner l’investissement dans la transition vers une énergie propre, ce qui aurait des conséquences à plus long terme sur la réalisation des objectifs climatiques.

Dans le domaine de l’électronucléaire, il est essentiel de maintenir et de prolonger l’exploitation des centrales existantes en vue d’appuyer et d’accélérer la transition vers des systèmes énergétiques à faibles émissions de carbone. Dans un environnement favorable aux investissements, le coût moyen du mégawatt-heure dans le cas d’une prolongation de 10 à 20 ans de la durée de vie des centrales peut être compris entre 30 et 40 dollars É.-U., ce qui fait de l’énergie nucléaire l’une des sources d’électricité à faibles émissions de carbone les plus économiques, et permet de maintenir la capacité de production d’électricité acheminable et de réduire le coût total de la transition vers une énergie propre. Dans son rapport sur la reprise durable, l’AIE a indiqué que sans ces prolongations, 40 % du parc nucléaire des économies développées pourrait être mis à l’arrêt d’ici à dix ans, élevant ainsi le montant total de la facture d’électricité d’environ 80 milliards de dollars É.-U. par an. Elle souligne que les programmes de maintenance et de prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires pourraient fournir un appui aux mesures de relance de l’économie en contribuant de façon notable à la reprise de l’activité économique et à la création d’emplois.

Des systèmes énergétiques souples : une nécessité

Les projets de construction de nouvelles centrales nucléaires peuvent offrir des avantages économiques et environnementaux similaires, mais ils seront encore plus difficiles à financer sans un soutien politique fort et des réformes en profondeur du marché de l’énergie, notamment le renforcement des mesures visant à récompenser la fiabilité, la flexibilité et d’autres services. La nécessité d’assurer une certaine souplesse dans la production d’électricité et l’exploitation des systèmes, qui s’est fait sentir de manière encore plus pressante pendant la crise, revêtira une importance croissante dans les futurs systèmes énergétiques à moyen et à long terme. 

Si l’on se penche sur les perspectives à plus long terme, on remarque que, même si les producteurs d’électricité et les exploitants de systèmes énergétiques ont fait face à la crise avec succès, la baisse observée de la production électrique à partir des combustibles fossiles pourrait faire émerger de nouvelles difficultés liées à la stabilité du réseau à un stade plus avancé de la transition énergétique. Des turbines à vapeur ou à gaz massives fournissent l’inertie mécanique nécessaire à la stabilité d’un système électrique. Le remplacement de ces capacités par des énergies renouvelables intermittentes pourrait augmenter l’instabilité des systèmes électriques, amoindrir la qualité de l’électricité et élever la fréquence des coupures de courant.  C’est ici que de grosses centrales nucléaires, associées à d’autres technologies, peuvent avoir un rôle à jouer en vue de réduire les risques de perte d’alimentation de systèmes électriques totalement décarbonés. 

Les difficultés posées par la pandémie de COVID-19 ont également mis en lumière la nécessité de garantir la résilience des futurs systèmes énergétiques pour leur permettre de résister à des chocs externes plus divers, notamment les conditions météorologiques plus variables et plus extrêmes auxquelles on peut s’attendre du fait du changement climatique.

La performance de l’électronucléaire durant la crise nous rappelle de façon opportune le rôle que joue cette source d’énergie et les possibilités qu’elle peut offrir à l’avenir dans l’établissement d’un système énergétique à faibles émissions de carbone plus durable et plus fiable.

Sources des données sur la demande d’électricité ainsi que la production et les prix de l’électricité : Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (Europe), Ukrenergo National Power Company (Ukraine), Power System Operation Corporation (Inde), Korea Power Exchange (Corée du Sud), Operador Nacional do Sistema Elétrico (Brésil), Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (Ontario, Canada), EIA (États-Unis d’Amérique). Les données présentées couvrent la période allant du 1er janvier à mai/juin.

Figure 4. Évolution du prix moyen de l’électricité en 2020 par rapport à 2019 avant et après l’application de mesures de confinement dans quelques régions. (Illustration : Harim Jung)

Electricity generation from fossil fuels has been hard hit, due to relatively high operating costs compared to nuclear power and renewables, as well as simple price-setting mechanisms on electricity markets. By contrast, low-carbon electricity prevailed during these extraordinary circumstances, with the contribution of renewable electricity rising in a number of countries due to an obligation on transmission system operators to schedule and dispatch renewable electricity ahead of other generators, as well as due to favourable weather conditions.

Nuclear power generation also proved to be resilient, reliable and adaptable. The nuclear industry rapidly implemented special measures to cope with the pandemic, avoiding the need to shut down plants due to the effects of COVID-19 on the workforce or supply chains. Nuclear generators also swiftly adapted to the changed market conditions. For example, EDF Energy was able to respond to the need of the UK grid operator by curtailing sporadically the generation of its Sizewell B reactor and maintain a cost-efficient and secure electricity service for consumers.

Despite the nuclear industry’s performance during the pandemic, faced with significant decreases in demand, many generators have still needed to reduce their overall output appreciably, for example in France, Sweden, Ukraine, the UK and to a lesser extent Germany (Fig. 2). Declining demand in France up to the end of March already contributed to a 1% drop in first quarter revenues at EDF, with nuclear output more than 9% lower than in the year before. Similarly, Russia’s Rosatom experienced a significant demand contraction in April and May, contributing to an 11% decline in revenues for the first five months of the year.

Figure 1. Weekly change in 2020 electricity demand relative to 2019 in selected jurisdictions (March 15–June 6). For example, the absence of lockdown in Sweden led to an increase in the electricity demand between 15 March and 5 April relative to the same period in 2019. Alternatively, the lockdown implemented in France lead to an average 14% decrease over the full period (March 15-June 6). (Graphic: Harim Jung)

Note: Change in electricity generation reported for India, South Korea and USA.

Overall, the competitiveness and resilience of low carbon technologies have resulted in higher market shares for nuclear, solar and wind power in many countries since the start of lockdowns (Fig. 3). The share of nuclear generation in South Korea rose by almost 9 percentage points during the pandemic, while in the UK, nuclear played a big part in almost eliminating coal generation for a period of two months. For the whole of 2020, the US Energy Information Administration’s Short-Term Energy Outlook sees the share of nuclear generation increasing by more than one percentage point compared to 2019. In China, power production decreased during January-February 2020 by more than 8% year on year: coal power decreased by nearly 9%, hydropower by nearly 12%. Nuclear has proved more resilient with a 2% reduction only. The benefits of these higher shares of clean energy in terms of reduced emissions of greenhouse gases and other air pollutants have been on full display worldwide over the past months.

Figure 2. Weekly change in low carbon electricity generation (March 15–June 6) relative to week of March 8–14 (prior to most lockdowns) in selected jurisdictions. (Graphic: Harim Jung)

Note: Other renewable electricity includes notably dispatchable sources such as hydropower and biomass.

Figure 3. Change in nuclear, solar and wind generation market shares since start of lockdowns. (Graphic: Harim Jung)

Note: Change in share of electricity generation mix compared to period from 1 January 2020 until start of lockdowns.

Challenges for the future

Despite the demonstrated performance of a cleaner energy system through the crisis – including the capacity of existing nuclear power plants to deliver a competitive, reliable, and low carbon electricity service when needed – both short- and long-term challenges remain.

In the shorter term, the collapse in electricity demand has accelerated recent falls in electricity prices, particularly in Europe (Fig. 4), from already economically unsustainable levels. According to Standard and Poor’s Midyear Update, the large price drops in Europe result from not only COVID-19 lockdown measures but also collapsing demand due to an unusually warm winter, increased supply from renewables in a context of lower gas prices and CO2 allowances . Such low prices further exacerbate the challenging environment faced by many electricity generators, including nuclear plants. These may impede the required investments in the clean energy transition, with longer term consequences on the achievement of climate goals.

For nuclear power, maintaining and extending the operation of existing plants is essential to support and accelerate the transition to low carbon energy systems. With a supportive investment environment, a 10–20 year lifetime extension can be realized at an average cost of US $30–40/MW·h, making it among the most cost-effective low-carbon options, while also maintaining dispatchable capacity and lowering the overall cost of the clean energy transition. The IEA Sustainable Recovery report indicates that without such extensions 40% of the nuclear fleet in developed economies may be retired within a decade, adding around US$ 80 billion per year to electricity bills. The IEA note the potential for nuclear plant maintenance and extension programmes to support recovery measures by generating significant economic activity and employment.

The need for flexibility

New nuclear power projects can provide similar economic and environmental benefits but will be all the more challenging to finance without strong policy support and more substantive power market reforms, including improved frameworks for remunerating reliability, flexibility and other services. The need for flexibility in electricity generation and system operation – a trend accelerated by the crisis – will increasingly characterize future energy systems over the medium to longer term. 

Looking further ahead, while generators and system operators successfully responded to the crisis, the observed decline in fossil fuel generation draws attention to additional grid stability challenges likely to emerge further into the energy transition. Heavy rotating steam and gas turbines provide mechanical inertia to an electricity system, thereby maintaining its balance. Replacing these capacities with variable renewables may result in greater instability, poorer power quality and increased incidence of blackouts.  Large nuclear power plants along with other technologies can fill this role, alleviating the risk of supply disruptions in fully decarbonized electricity systems. 

The challenges created by COVID-19 have also brought into focus the need to ensure resilience is built-in to future energy systems to cope with a broader range of external shocks, including more variable and extreme weather patterns expected from climate change.

The performance of nuclear power during the crisis provides a timely reminder of its ongoing contribution and future potential in creating a more sustainable, reliable, low carbon energy system.

Data sources for electricity demand, generation and prices: European Network of Transmission System Operators for Electricity (Europe), Ukrenergo National Power Company (Ukraine), Power System Operation Corporation (India), Korea Power Exchange (South Korea), Operador Nacional do Sistema Elétrico (Brazil), Independent Electricity System Operator (Ontario, Canada), EIA (USA). Data cover 1 January to May/June.

Figure 4. Average impact on electricity prices in 2019 vs 2020 before and after lockdown starts in selected jurisdictions. (Graphic: Harim Jung)